Titre original :
Le Redoutable
Réalisateur :
Michel Hazanavicius
Genre :
Biopic
Durée : 1h47
Acteurs principaux :
Louis Garrel (rôle : Jean-Luc Godard), Stacy Martin (rôle :
Anne Wiazemsky)
Chroniqueur :
Adrien
Note :
Jean-Luc Bonisseur de la Bath/20
Son nom est Jean-Luc
Godard. Aussi adulé que craint, il est une légende... mais tous les
hommes sont-ils faits pour l'être ?
Ça t'étonnes, hein ? Allez, viens, on parle de moi ! |
Le Redoutable est un sous-marin mais pas n’importe lequel : un sous-marin nucléaire lanceur
d’engins du même acabit. En soi, une révolution et un symbole du
triomphe de De Gaulle pour qui le nucléaire était pour le moins une
marotte ! Mais si, vous savez : la grandeur de la France, tout ça... Mais, au même moment, Le Redoutable, c’est aussi un certain Godard qui, en
compagnie de Truffaut ou bien encore Rohmer, a changé la face du
cinéma avec la nouvelle vague.
Pourchasser un Nazi avec des Juifs ? Quelle drôle d'idée ! |
D’un côté, on a le triomphe mais
aussi l’essoufflement de la génération de la deuxième Guerre Mondiale. De l’autre, on a un des pourfendeurs du cinéma de papa. Le
temps d’une scène, les deux cohabiteront autour d’un poste de radio. Ainsi
va la vie à bord du Redoutable, ainsi vont les paradoxes au temps de
la Révolution...
Car le paradoxe,
le dilemme impossible qui sous-tend tout le film d’Hazanavicius est
justement son rapport à la révolution mais aussi à la
contradiction entre une idéologie et la réalité matérielle. Le
réalisateur va alors s’amuser à mettre en scène un jeu burlesque
et tragique autour de l’idée d’une révolution qui ne sait pas
ce qu’elle a révolutionné.
En cela, même si le film est loin
d’être un portrait fidèle à l’histoire, il choisit de prendre
le dilemme que traverse Godard à cette époque de sa vie pour
composer un portrait imaginaire d’un artiste et de son époque. Peu
avant 1968, Godard vit une profonde remise en question après l’échec
de La Chinoise, ce qui va amorcer pleinement son virage idéologique
et un cinéma uniquement politique inspiré par le mouvement Maoïste
encore idéalisé. Godard, embrassant ce courant, va alors se
radicaliser quitte à créer des paradoxes impossibles à
résoudre, devenant un personnage tragi-comique.
Ah ! J'ai fait de l'humour juif, je crois que c'est quand ce n'est pas rigolo et que ça ne parle pas de saucisses. |
Or, dans
sa forme, le film doit lui aussi faire face à des paradoxes du fait
d’être un biopic mais aussi un portrait fantasmé et complètement
esthétisé. Au détour d’un dialogue, Louis Garrel nous dira donc
qu’il n’est qu’un acteur jouant Godard, de même que le film
s’amuse des films de Godard, justifiant ainsi tout le travail de
l’image (noir et blanc, négatif) qui ne fait que mettre en
lumière le caractère impossible du cinéma à être un miroir de la
réalité mais seulement un point de vue.
On dirait une poissonnière de Ménilmontant ! |
Hazanavicius, en grand
artisan du détournement, va alors reprendre des codes et des
références visuels du réalisateur mais en le ramenant toujours à sa
période «dorée» des années 60, celle-là même qu’il
cherche à renier à partir de 1968. Que ce soit les regards face
caméra, la destruction du quatrième mur, le travail sur le son, les
couleurs chatoyantes et pop ou les longs travelling, l’univers de
Godard est sans cesse évoqué et invoqué mais dans un but précis. En effet,
loin d’être un travail de copie, impeccable au demeurant, tout le
film, que ce soit dans sa forme ou son fond, va nous narrer l’histoire
d’un mouvement vain, de la révolution d’un astre retournant sans
cesse à son point d’origine.
Comme le dit Godard/Garrel dans le
film, ce qui l’intéresse dans le mouvement étudiant, c’est le
mouvement, pas les étudiants. Hors, ce qui intéresse Hazanavicius, ce
n’est pas de faire un cinéma révolutionnaire mais de faire d’une idéologie révolutionnaire sans cesse rattrapée
par le banal un geste burlesque. On pense bien sur au running gag des lunettes ou bien encore au retour de Cannes, tous ces éléments qui au final remplace le romantisme de la révolution fantasmée par un récit cocasse mettant en opposition le quotidien et l'idéal, le banal et le romanesque.
Mais il va fermer sa gueule ! |
Qui plus est, l’idée de révolution permanente énoncée
dans le film et son échec final rapprochent Mai 68 de la Nouvelle
Vague en cela que, très vite, leur cinéma ne fut plus révolutionnaire
mais catalogué et transformé en marque. Dès que les producteurs
ont senti le potentiel économique du mouvement lancé par cette
jeunesse refusant les codes du cinéma de papa, tous se sont démenés
à avoir leur réalisateur jeune estampillé Nouvelle Vague. On voit
alors la naïveté d’une époque qui souhaitait la révolution
permanente, quand bien même le système Maoïste était en soi une
nouvelle doctrine et un nouveau système. Cet aspect est aussi souligné par le dialogue entre Godard et un publicitaire dans une soirée, ce dernier soulignant l'ironie d'un Godard fustigeant la publicité alors qu'il carbure lui-même aux slogans chocs et efficaces.
Néanmoins, le film, malgré
ses références constantes au cinéma de Godard, reste un film
d’Hazanavicius et porte indéniablement la marque de son auteur. Il est donc extrêmement ludique mais aussi d’une facture
impeccable, bien loin des comédies "téléfilms" n’ayant
aucune ambition esthétique qui sortent régulièrement sur nos
pauvres écrans.
Fonce, Slimane ! Fooonce !!! |
En superposant l’écrit, le
son et l’image pour créer du sens et des parallèles, le film se
permet donc, en plus d'une photographie magnifique, de jouer avec le spectateur. En somme, et c’est une grande force
du métrage, pas besoin de connaître les films de Godard sur le bout des
doigts pour saisir un humour qui aurait pu devenir vite élitiste et
excluant. Hazanavicius ne sacrifie jamais l’intelligence à
l’humour tout en caricaturant une époque pour mieux la cerner. On
peut même aller plus loin en avançant que le regard comique sur la
révolution traverse toute son oeuvre. Pensons donc aux deux OSS
117 qui mettent en scène un mouvement révolutionnaire : les Aigles
de Khéops en Égypte mais aussi le mouvement hippie au Brésil en
1967. Dans tous les cas, la révolution
devient certes burlesque mais aussi profondément vaine. On se
souvient par exemple du mêmes OSS 117 parlant de la France du général
De Gaulle comme de l’URSS sans même s’en rendre compte. En somme,
dans Le Redoutable, on retrouve encore une fois un rejet de
l’idéologie mais surtout la volonté de désacraliser des
figures sacrées.
Décidément, que ce soit De Gaulle
ou Godard, ces deux-là accumulent les rapprochements ! On a à faire à des personnalités encore relativement intouchables
en France. C’est simple : pour être bien vu en politique, il faut
dire que l’on admire De Gaulle et, pour être bien vu dans le milieu
du cinéma, que l’on admire Godard. Or, c’est un peu l’ironie
suprême pour Godard d’être ainsi «déifié», la
révolution passant par la destruction des anciennes idoles.
Je n'suis pas un Léo, mais il faut croire Asselineau, je n'suis pas un Léo, un Léoooooo |
Le
Redoutable, c’est donc aussi un peu l’histoire d’un combat perdu
d’avance, celui d’incarner une révolution de la jeunesse à 37
ans, le combat du révolutionnaire rattrapé par la révolution. C’est en
cela que se niche toute la tragédie sourde du film mais aussi son
seul défaut. Même si le comique est parfaitement ciselé, on
pourra regretter que la tragédie soit trop esquissée pour vraiment
prendre aux tripes. Au final, la légèreté du film est, à bien y
réfléchir, porteuse d’un sens bien plus tragique. En témoigne le
dernier plan du film qui montre l’échec d’un idéal (SPOILER :
un des pionniers de la politique des auteurs est obligé de renier son
statut d’auteur au nom de son idéologie) avec une douceur qui
rend le film jamais cruel avec ses personnages.
Bien qu’Hazanavicus
peigne un portrait caricatural de Godard, le cinéma ne représentant
jamais le réel, on sent un amour des personnages qui évite de
changer le film en une charge aveugle et inepte. Partant d’une
image d’Épinal du réalisateur, Hazanavicius écrit la tragédie de
Jean-Luc dans son combat à mort contre Godard et décrit un homme
empoté mais passionné, jaloux mais amoureux. Un être complexe ne
cherchant qu'à suivre sa philosophie avec le plus de rigueur possible
quitte à marcher sur ce qui l'entoure.
Avec Le
Redoutable, Hazanavicius signe un grand film mais aussi un grand
biopic, parabole de la vie d'un homme mais aussi d'une époque.
Portrait lucide sans jamais être cruel, rarement un échec n'aura
été filmé de manière aussi bienveillante. Au final, l'utopie
révolutionnaire d'une jeunesse n'aura peut-être pas changé le
monde mais elle aura au moins stimulé un pays entier dans un mouvement
libertaire tout aussi salvateur.
Vous aimez la blanquette ? |
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